dimanche 2 août 2015

Le Détroit



   Avant tout, il faut d'abord définir le concept. Après de nombreuses lectures, nous proposons de retenir la définition suivante : le détroit est un seuil maritime étranglé (largeur inférieur ou égale à 20 milles  marins), approprié par les Etats riverains selon la règle du partage par l'équidistance et qui admet le passage en transit sans entrave de tout navire ou sous-marin étranger.

Pendant des siècles, seules les terres émergées furent convoitées par les hommes, même si, dès le Moyen âge,  les travaux de poldérisation, par exemple dans la plaine flamande et picarde, traduisaient l'intérêt des moines, des seigneurs et des communautés rurales pour la conquête de nouvelles terres au détriment des eaux. L'idée de frontière maritime semblait impensable, encore que, très tôt, les Etats aient senti le besoin d'assurer la maitrise des eaux riveraines. 

Aujourd'hui, les frontières maritimes, indicateurs d'un véritable processus d'appropriation des mers et des océans, sont de plus en plus nombreuses. Les transformations de plus profondes enregistrées par le droit public maritime depuis un quart de siècle traduisent à la fois un  élargissement et une complexification de la juridiction des Etats riveraines sur les espaces maritimes. Désormais, on parle d'eaux territoriales, de zones économiques exclusives, de zone de pèche exclusive, de haute mer. Ce processus d'appropriation se manifeste dès la fin de la seconde guerre mondiale et surtout dans les années 1970; les grandes puissances maritimes, ainsi que de nombreux pays du Tiers-Monde, on progressivement accaparé des espaces maritimes en songeant aux richesses  qu'ils représentant. Après de longues et difficiles négociations, la Troisième conférence des Nations Unies de Montego Bay adopte le 10 décembre 1982 une convention sur le Droit de la mer. Entrée en vigueur le 16 novembre 1994, elle est comme une première constitution universelle de la mer. Elle abouti a une étatisation des espaces maritimes, alors que les échanges (dont une grande part s'organise  sur des voies maritimes) se mondialisent.

A partir de cette introduction nous allons poser la problématique suivante : Dans quelle mesure les détroits représentants un  intérêt géo-stratégique pour les Etats et quelle sont les difficultés relative aux détroits ?
 A fin de répondre a cette problématique nous allons voir dans un premier temps (I) la présentation générale des détroits et dans un deuxième temps (II) les difficultés relatives  aux détroits.

I - Présentation général des Détroits 

A – spécificité géographique des détroits  
  
Un détroit est un bras de mer étroit, plus ou moins resserré, entre deux terres qui met en relations deux étendues maritimes. Il peut relier deux océans (détroit de torres, détroit de Malacca), un océan et une mer (détroit de Gibraltar), une mer à une autre mer (détroit danois) mais aussi deux continents (détroit de Gibraltar, du Bosphore ou de Behring), un continent à une ile (détroit de Malacca, détroit Formose, détroit du Pas de calais ou une ile à une ile (détroit de Bonifacio, détroit des archipels   des philippines et de l'Indonésie).
Dans le droit maritime, une distinction est faite entre un détroit intérieur et un détroit international. Un détroit international lorsqu'il relie une zone de hautes mers  à une autre zone de hautes mers ou à la mer territoriale d'un Etat étranger et s'il est utilisé pour la circulation internationale. Un détroit qui sert exclusivement à la navigation interne d'un Etat ou qui est peu fréquenté est donc domestique. Leur statut peut change dans le temps : avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces, les détroits arctiques canadiens et russes pourraient devenir des détroits internationaux. Dans les deux cas, mais de façon un peu différente, ils soulèvent la question de l'intégration nationale. Un détroit est une ligne de discontinuité, une coupure territoriale que de nombreux Etats  cherchent à effacer en multipliant  les connexions maritimes (ferries, traversiers, transrouliers) ou en construisant des liens fixes (pont, tunnel). Dans un détroit international, la question de la souveraineté  nationale est plus délicate : même s'il est inclus dans ses eaux territoriales, les Etats riverains  sont contraints d'appliquer les principes de la liberté de circulation maritime et de respecter la  Convention de Montego Bay de 1982 : libre passage des navires et flottes navales, interdiction d'imposer des péages, obligation d'y  d'assurer la sureté   et la sécurité de la navigation. Par ailleurs, de nombreux détroit fixant les frontières car ils sont a priori une frontière physique au même titre que les fleuves ou les  chaines de montagnes. Quand deux Etats sont séparés par un plan d'eau de moins de 24 milles de largeur, le partage du détroit s'effectue en général selon la règle du partage par l'équidistance. La frontière maritime d'un détroit est   cependant  distinct d'une frontière terrestre  car elle ne peut être réduite a une ligne,  elle a une certaine épaisseur mais aussi une profondeur, il est possible de la traverser mais aussi de la suivre dans sa largeur. De plus, la mer n'est pas un vide et malgré des rivalités ou des conflits politiques, les Etats riverains sont contraints d'en tenir compte et parfois de collaborer afin de gérer cet espace fragile : risque de pollution, de surpêche ou encore de destruction des écosystèmes. 

B – le rôle stratégique et essentiel des détroits 

Un détroit a des fonctions  ambivalentes, puisqu'il assure à la fois une séparation et une mise en contact dans les deux directions, activités économiques, accumulations démographique, apparition de grands organismes portuaires.
En raison de l'éloignement géographique des zones de production  des zones de consommation, en considère qu'environ 50 % de la production d'hydrocarbure  est échangée dans le monde, dont 80 % par voie maritime.
Le transport maritime est essentiel pour l'acheminement des hydrocarbures et permet d'assurer environ 50 %  des besoins des Etats Unies, 70 %  de l'Europe  et pratiquement la totalité pour des pays comme la France ou le Japon.
Les détroits et les canaux sont, à ce titre des voies de passages privilégiées voir incontournables pour les flux énergétiques, et ce pour plusieurs raisons :
. Ils permettent de raccourcir considérablement les trajets maritimes et les délais;
.Ils constituent souvent le seul point de sortie maritime pour l'évacuation des ressources énergétiques;
. Les flux énergétiques y sont dense et le trafic maritime croissant;
. Ils bénéficient d'une surveillance accrue.  
 Généralement, il existe quatre détroits dans le monde dit d'intérêt stratégique  pour le transit du pétrole :Ormuz, Malacca, Bab EL- Mandab  et le Bosphore. Deux canaux jouent également un rôle essentiel, il s'agit de  Suez et de Panama.  
Enfin, on peut dire que les détroits ont une importance considérable parce qu'ils représentant une solution  ou une porte pour certains Etats presque ou entièrement  enclavé. En plus, les détroits internationaux offrent des avantages (libre passage des navires et flottes navales et  obligation d'y  d'assurer la sureté et la sécurité de la navigation) aux Etats utilisateur de l'espace maritime puisqu'ils ont un statut juridique qui les règlemente cet espace maritime vitale.

 II - les difficultés relatives aux détroits

A – la nature des difficultés liées aux détroits 

Aujourd'hui, profitant de la proximité des deux rives, de nombreux trafics de contrebande et flux illégaux traversent l'étroit canal. Les narcotrafiquants, les contrebandiers, et les clandestins ont remplacé les pirates et les corsaires d'hier. Les différents trafics, propres aux zones frontalières, ont contribué à transformer  le détroit en une zone de non droit, un gigantesque marché tiers-mondiste, un entonnoir qui capte et redistribue sur l'ensemble  de l'Europe les flux illégaux en provenance du Sud. Alimentés par le préside de Ceuta et par la colonie britannique de Gibraltar, ces trafics répondent à une logique d'offre et de demande :
Le cannabis, le kif du Rif, contribue à la stabilité économique et sociale du nord du Maroc et alimente les réseaux mafieux de la Costa del sol qui le redistribuent à travers l'espace Shengen, la contrebande autour de Ceuta assure les revenus nécessaires à l'économie morose  du préside et à la province de Tétouan, et enfin, les clandestins africains,  en diminuant l'effectif de chômeurs de leurs pays, constituent une soupape économique, mais aussi une main-d'œuvre utile et peu couteuse pour la culture maraichère sous serre d'Andalousie.
 Le détroit de Gibraltar apparait comme un point de passage obligé pour les filières  de l'immigration clandestine. Sans oublier que les  difficultés et menaces liées au transport maritime et à l'exploitation des ressources, la pollution des mers et des littoraux est la plus visible et dangereuse pour les espaces maritimes. Les marées noires entrainent  des conflits d'usage entre compagnies pétrolières, pêcheurs et riverains des littoraux.
Enfin, il y a les difficultés relatives aux conflits territoriales comme c'est le cas du Maroc et l'Espagne sur quelques ilots. 
        
B – Gibraltar à titre d'exemple de détroit  

Né d'une déchirure terrestre que les mythes ont magnifiée, le détroit de Gibraltar a conservé à travers les siècles un statut de point nodal dans la géostratégie et géopolitique mondiale. Porte océan entre l'atlantique et  méditerranée, mais aussi porte transversale entre l'Afrique et l'Europe, le détroit cape et polarise les flux transméditerranéens. Avec seulement 13 kilomètres qui séparent les deux continents, il est le point de passage le plus étroit de la méditerranée, mais aussi  l'une des frontières les plus inégalitaires au monde. Alors que dans d'autres régions, la proximité favorise la convergence économique, l'écart de développement  entre les deux rives ne cesse de croitre : le PIB par habitant   espagnole représente aujourd'hui quinze fois celui du Maroc alors qu'il n'était que quatre fois supérieur il y a trente ans.

Par définition, un détroit fait communiquer deux espaces maritimes et des terres rapprochées, le détroit de Gibraltar est avant tout un lieu de passage, on ne peut pas considérer son analyse en se limitant uniquement à ses deux rives. Le contrôle d'un détroit n'a aucun sens signification si on ne le perçoit pas comme un espace plus large et plus ouvert, un véritable carrefour.  Appliquer une politique de fermeture à un tel espace n'a de sens seulement  si on considère sa fonction polarisante au- delà de ses limites, en amont et en aval des flux qui le parcourent. Dans la géopolitique actuelle et de par sa position géographique, le détroit de Gibraltar s'est imposé comme le point nodal des flux migratoires euro-africains, mais aussi comme la centralité du partenariat euro-méditerranéen et de la politique frontièrisation  de Shengen. Depuis que l'Union Européenne verrouille les frontières, sa politique migratoire se diffuse depuis le détroit   sur l'ensemble du Maghreb, repoussant un peu plus encore les migrants en accentuant le mythe de la forteresse assiégée.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire